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L’association / Historique
Transféré le 7 octobre 1943 de la prison de Saint-Lô à celle de Fresnes, Régis Messac griffonne encore à la hâte et à la mine de plomb un billet clandestin qu’il souhaite faire parvenir à sa femme :
Gare St-Lazare, 7 octobre, 15 heures
En route pour Fresnes. Ma serviette avec papiers t’attend au bureau à St-Lô. Nous devons passer lundi paraît-il (jugement à refaire). Baisers.
Régis
Durant cette première et pénible partie du voyage sans retour, quelques-uns des compagnons d’infortune de Régis Messac l’accompagnent : l’instituteur Eugène Lepetit, l’industriel Raymond Brulé et son contremaître Albert Duros.
À la prison de Fresnes, Eugène Lepetit témoigne de ce que Messac, Brulé et lui-même furent incarcérés jusqu’au 11 novembre « dans une même cellule (prévue pour un détenu) située dans la deuxième division. […] Ce fut, ajoute-t-il, une détention pénible, agrémentée par de rares et courtes promenades dans une cour murée pour empêcher toute communication avec les détenus des cellules voisines. » [1]
En s’appuyant maintenant sur le témoignage de Roger Leroy, on peut ici reconstituer ce qu’a pu être le transfert, de Fresnes à Natzweiler, de Messac, Brulé et d’autres membres du Front national si tant est que ce transfert se soit déroulé dans des conditions analogues à celles que décrit Leroy dans la Résistance en enfer (1943-1945) [2].
À quatre heures, dans le froid du 11 novembre 1943 [3], des prisonniers sont réveillés, rassemblés et conduit dans une cour de la prison où les attend un convoi de fourgons cellulaires. C’est dans ces conditions que Messac et neuf de ses compagnons de la cellule des treize : Raymond Brulé, Alfred Duros, Victor Francolon, Georges Gautier, Paul Chartrier, Louis Chollet, Émile Lecarpentier, Ange Leparquier et Jean Maurice partent pour une destination qui leur est inconnue. Avec eux, deux instituteurs : Marcel Leclerc, de Cherbourg, et André Parisy. Eugène Lepetit ne sera déporté à Natzweiler que le 18 juin 1944 ; Albert Beaufils, le 7 août 1944.
Enfermés par deux, à l’étroit, debout, à l’intérieur d’un fourgon, dans des cages métalliques obscures, les détenus n’ont même pas la possibilité de capter par les fentes d’aération, « une dernière fois peut-être, un peu de la capitale, tout juste un petit coin de Paris » [4]. On imagine à l’oreille le bruit des moteurs dans la nuit noire de novembre, le sinistre cortège s’élançant sur la nationale 20, s’engageant sur l’axe nord-sud de Paris par cette avenue d’Orléans qui portera demain le nom de Général-Leclerc, franchissant la barrière Denfert surplombant l’entrée des catacombes ; puis empruntant le boulevard Saint-Michel, laissant sur sa gauche, le jardin du Luxembourg et la Chope latine, sur sa droite, le Mahieu, la Sorbonne, la rue Valette et la rue de la Harpe, traversant les quais de Seine et leurs parapets habillés des boîtes de bouquinistes, contournant la place du Châtelet et, dans une dernière ligne droite, filant à vive allure sur la rue d’Alsace par le Sébasto et le boulevard de Strasbourg. Autant de lieux chers à Régis Messac depuis l’époque où la mobilisation de 1914 était venue interrompre la Belle Époque et sa relative insouciante vie d’étudiant. Autant de lieux dont on retrouve la trace dans ses livres, ses contes et sa correspondance [5].
Gare de l’Est, 6 heures, dans la brume du petit matin. Les prisonniers de Fresnes sont regroupés avec d’autres venus de la prison du Cherche-Midi [6], voire du fort de Romainville [7]. Un nouveau convoi de soixante-et-une personnes est constitué. Les soldats allemands le font monter dans une sorte de wagon cellulaire : une voiture de « troisième classe aux fenêtres garnies de barres de fer et grillagées, […] attachés deux par deux avec la même paire de menottes. » Le train va jusqu’à Strasbourg où le wagon est dételé puis agrégé à un convoi à destination de Rothau. Le lendemain, à l’arrivée en gare de Rothau, dans la vallée de la Bruche, à six kilomètres en contrebas du camp de Natzweiler, à cinquante kilomètres au nord du petit village de Riquewihr, le froid et la neige offrent un avant-goût de l’hiver précoce. Le moral est bas. Il y a là un soldat placé en faction tous les deux mètres. « Les SS musclés gesticulent et […] matraquent à tour de bras. Il faut courir vers les camions, toujours attachés deux par deux avec les menottes. » [8]
[1] Lettre à Mlle Butet, vers 1977, in « la Mort du loup » in Régis Messac, Lettres de prison, Paris, Éditions ex nihilo, 2005, p. 84.
[2] La Résistance en enfer (1943-1945), op. cit., p. 63.
[3] La date du 25e anniversaire de l’armistice de 1918 est à forte connotation symbolique. Elle ne semble pas avoir été choisie au hasard.
[5] Dans Il pleut sur mon jardin (Paris, la Fenêtre ouverte, 1960, p. 283), Roger Denux indique que la Chope latine, cette brasserie à l’angle de la rue de Médicis et du boulevard Saint-Michel où Messac lui fit aimer le Riquewihr, s’appelle maintenant Wehrmachtspeiselokal (l’auberge de la Wehrmacht). Dans Feuilles volantes (Blainville, l’Amitié par le livre, 1965, p. 135), Denux évoque encore le plaisir éprouvé par Messac dans le cadre ambiant de la Chope latine.
[6] Prison militaire (1847-1950) située 54 boulevard Raspail, à l’angle avec la rue du Cherche-Midi. Sous l’Occupation, elle est utilisée par les Allemands, pour y interner des opposants politiques et des résistants.
[7] Les sources sur ce point divergent. Selon la Résistance en enfer (1943-1945), rapporter ici le propos (op. cit., p. xx). Le Livre mémoriel de la Fondation pour la mémoire de la déportation ne fait état que d’un regroupement de 61 hommes venants des seules prisons de Fresnes et du Cherche-Midi (http://www.bddm.org/liv/details.php?id=I.152.)
[8] Ibidem, p. 66.